La Mandragore

Création 2003 de Nicolas Machiavel

Voici plus de 4 siècles qu’on réduit la pensée de Machiavel à la maxime « la fin justifie les moyens ». Cette phrase, que le Florentin n’a jamais prononcée, est pourtant à l’origine de luttes acharnées autour de son œuvre. Malheureusement, ces batailles idéologiques et séculaires ont nourri le terreau dans lequel s’est enraciné le terme peu séduisant de machiavélisme .

Avec La Mandragore , nous voudrions dévoiler la facette d’un autre Machiavel. Celle d’un homme drôle, franc et lucide. À ceux, qui n’ont vu dans sa pensée que cynisme, perfidie et pensée cruelle, nous voudrions montrer un esprit conscient des travers de la nature humaine ; un homme qui use du rire et de la dérision pour se moquer de ses semblables et de leurs obsessions égocentriques.

Cette comédie pourrait s’intituler : « De quoi sommes nous capables pour satisfaire nos intérêts personnels ? » En effet, La Mandragore met en scène des personnages qui, pour assouvir leurs appétits individuels, se façonnent gaiement, et pour leurs seuls avantages, règles, raison et propre morale.

Machiavel nous propose de rire de nos turpitudes pour, surtout, ne jamais les oublier. Il nous tend son miroir, nous montre les tromperies, les masques… En nous gratifiant, au passage, d’une réflexion sur la nature du bien et du mal, il nous exhorte à dépasser sans cesse notre naturel égoïsme pour assumer une digne existence collective : une vie politique juste et garante de liberté. Dans cette pièce, on touche au génie d’un Machiavel passionné par l’homme et la façon dont il se gouverne.

Le spectacle

Le texte : du dialecte toscan au français régional

 Le projet de monter La Mandragore en 2003, nous a conduit vers des traductions et adaptations qui, en collant trop près à l’idée d’un Machiavel en Molière italien, ne nous satisfaisaient pas. Nous nous sommes, donc, orientés vers le texte original. Dans l’opération de traduction/adaption fait en collaboration avec Rosa Maria Frezza (comédienne italienne), nous nous sommes aperçus que la meilleure façon de rendre compte de la couleur locale et du style percutant de l’œuvre, était d’y introduire un langage idiomatique comparable. Nous avons, en remplaçant le substrat toscan par un français marqué de « provençalisme », actualisé et identifié le texte à notre culture régionale d’aujourd’hui. Nos soucis ont été également de rester fidèle aux sens de l’auteur, mais aussi de respecter la langue française. De cette manière, nous souhaitons intéresser aussi bien le spectateur attiré par la littérature que celui se reconnaissant dans une langue usuelle, aimant un genre comique, parodique et décapant.

 Scénographie /Costume et structure scénique.

Le spectacle pourra s’installer partout ou on souhaite le voir : place de village, jardin public, salle polyvalente, salle de théâtre .

 Notre spectacle respecte une forme de théâtre populaire avec chansons, adresses au public, travestissements, etc. Conçue pour se poser sur une scène de théâtre, notre structure est capable aussi de se poser « en tréteaux ». Ainsi, le spectacle peut s’installer partout où on souhaite le voir : places de village, jardin public, salle polyvalente. L’esthétique du spectacle est une recherche originale sur les plans des formes et matériaux utilisés (sol de bois traité et peint, plans inclinés, structure métallique « en déséquilibre », etc.). Le choix des costumes fin XIXème, volontairement anachronique, permettent de créer la distance historique tout en peignant une société qui nous est proche .

Mise en scène

La cohabitation parfaite de ceux qui « veulent à tous prix » et ceux qui en profitent …

Le jeu des acteurs met l’accent sur le dérèglement et l’aveuglement des personnages. L’attitude débridée de Callimaco et Nicia cherchera à les rendre comiques, l’extrême sobriété de Ligurio et Timotéo mettra en évidence leur cynisme. La pièce montre l’existence des énergies actives et des énergies passives de tous rapports humains, leur affrontement mais aussi leur cohabitation parfaite ; la mise en scène de ceux qui « veulent à tout prix » et ceux qui en profitent, ou bien encore, ceux qui agissent et ceux qui manœuvrent.

 Équipe artistique

Direction artistique et mise en scène : Philippe Chuyen
Direction d’acteurs : Rosa Maria Frezza.
Scénograhie : Yannick Lemesle
Conception et confection des costumes : Corinne Guilloux
Composition musicale : Haîm Isaacs
Jeu : Valérie Feasson, Thierry Paul, Xavier-Adrien Laurent, Claude Allain, Philippe Chuyen, Alain Aparis, Abdel Bouchama

Le langage de Machiavel

Dans l’histoire du théâtre italien, La Mandragore tient une place singulière et importante. La pièce se situe entre une tradition « classique »  où l’on joue la comédie antique  et les auteurs contemporain tel que l’Arioste ; et un courant moderne, fait d’œuvres à caractère « social » et paysan (l’Arétin ou Ruzzante), destiné à un public plus large, urbain et bourgeois.

Le spectateur italien de l’époque est friand de situations comiques, mettant en scène des personnages de la vie quotidienne (le noble docteur, le marchand, le serviteur, la belle épouse,..). Et les temps sont marqués par une évolution du goût vers des spectacles qui parodient la réalité. La richesse et la vigueur des carnavals où l’on inverse toutes valeurs sont aussi là pour témoigner d’une époque  caractérisée, somme toute, par une certaine liberté de pensée.

Chef d’œuvre de la comédie burlesque, « La Mandragore reflète parfaitement ce monde complexe de la Renaissance »( J.-P. Manganaro) et marque véritablement son époque. Elle intègre dans l’œuvre écrite (réservée aux lettrés) d’autres courants, comme la chanson populaire et, fait nouveau, le texte donne une voix à l’acteur en tant qu’individu. En effet, au cours de la pièce, les personnages prennent la parole et, en leur nom, s’adressent directement aux spectateurs. En cherchant le contact avec le public, Machiavel annonce, à sa manière, un genre dramatique nouveau qui va s’épanouir sur la seconde moitié du siècle (mais sans le texte) : la Commedia dell’Arte. Ainsi, La Mandragore n’assure pas seulement le trait d’union entre deux époques, elle tend à rassembler deux publics : celui, lettré, de la comédie classique et un autre, plus populaire, habitué des jongleries et des fêtes carnavalesques.

Machiavel, nous l’avons vu, n’est pas seulement un intellectuel. Une lettre adressée à son ami Vettori est là pour en attester . Alors qu’il est en retraite forcée dans sa maison de San Casciano, il narre comment se passe ses journées ; après la compagnie des hommes les plus frustes,  bûcherons, partenaires au tric-trac, il s’occupe aux taches les plus ordinaires, piéger les grives, discuter avec les voyageurs, etc. Puis il raconte comment le soir venu, il enlève ses oripeaux de la journée, passe des habits de cours royale et pontificale (je note au passage son goût de la mise en scène) et pénètre dans le monde de l’Antiquité pour se repaître de la pensée des Grands Hommes.

Ainsi, Machiavel est un homme à « la langue composite » (J.-C. Zancarini). Un homme qui  utilise, tout à la fois, la langue de chancellerie, la langue populaire et la langue de la pensée Humaniste. À ce titre, il joue un rôle primordial dans la construction de l’italien moderne parce qu’il a (sans doute pour des raisons d’efficacité politique nous dit Zancarini) substituer, dans ses écrits, la langue vulgaire (son dialecte toscan) au latin, langue attitrée de la diplomatie et de la pensée philosophique. Indéniablement, nous retrouvons cette nature directe, efficace et populaire dans La Mandragore, œuvre âpre et rugueuse, aux propos verts marquées d’expressions locales, mais aussi chargée de sens et dans laquelle le langage joue un rôle capital dans la caractérisation des personnages.